La première mention officielle est apportée le registre de la paroisse de Lyngby, sous l’année 1904. Sa teneur est toute simple: “MAGNUS L/IESSQE STEPHENSEN, garçon, né Kaningardsskraenten, Virum Mark, le 12 octobre 1904. Père: Karl Stephani Stephensen, inspecteur de police. Mère: Emmy Frijs Stephensen avait sept ans lorsque son père fut élu maire et juge de paix. Magnus STEPHENSEN passa dans cette ville une enfance sans complication. Mais l'école ne l’amusait point. Comme dans toute famille de fonctionnaires qui se respecte, les parents rêvaient de voir leurs enfants acquérir un diplôme universitaire. Mais Magnus STEPHENSEN abandonna un an et demi avant son baccalauréat. Il voulait être architecte, s’engagea comme apprenti charpentier et entra ensuite à l'Ecole de bâtiment de Copenhague. Aussitôt sorti de l’Ecole technique, Il entra a l’Académie des beaux-arts, section architecture, ou il passa son examen de fin d‘études en 1930. Parallèlement, il avait travaillé pendant quelques années au cabinet fondé en commun par le professeur Edvard Thomsen et l’architecte Frits Schlegel. Sa collaboration avec Schlegel eut pour lui une grande importance personnelle. Au cours de son passage à l'Académie, il eut |’occasion de participer à un concours pour une médaille d’or et remit |’un des plus beaux projets depuis longtemps. Mais par suite d’intrigues qui, déjà alors, divisaient violemment l'Académie royale, la médaille ne lui fut pas attribuée et il dut même subir l’affront d’un professeur déclarant: « il est vraiment fâcheux que je sois allé cet après-midi à une autre réunion, autrement vous auriez eu la médaille » La conséquence, assez pénible pour l’Académie, fut que Magnus STEPHENSEN se vit attribuer en revanche la grande bourse de voyage qui accompagne normalement la médaille. Il fut en même temps désigné pour participer aux fouilles de l’école française en Grèce, ce qui somme toute lui apporta une bonne année de séjour à l’étranger. Apres trois mois d’archéologie en Grèce, il continua sur Port-Saïd et embarqua à bord d’un bateau de la Compagnie est-asiatique qui faisait les côtes chinoises et le déposa en dernier au Japon. II atteignait le but de ses rêves.
C’était en 1931, rares étaient les architectes danois qui s’étaient intéressé à l’architecture japonaise. Magnus STEPHENSEN y resta six mois et fit la connaissance de l’hôtelier danois J. A. Petersen, établi au Japon ou ii envisageait de construire un nouvel hôtel. Magnus STEPHENSEN passa alors le Pacifique et aboutit à San Francisco ou il habita un certain temps chez l’architecte Sv. Striboit. Les deux camarades de l'Ecole technique de Copenhague visitèrent ensemble l'Ouest des Etats-Unis, puis Magnus STEPHENSEN traversa le continent américain et regagna le Danemark via Londres. Aujourd’hui, un tel voyage n’a plus rien d’extraordinaire, on peut même, si l‘on est pressé, le réaliser par avion en une semaine, mais le profit est certes bien diffèrent. Le tour du monde marqua un tournant dans l'évolution artistique de Magnus STEPHENSEN ; il fit connaissance tant du monde antique que du nouveau : les ruines millénaires de la Grèce, le mysticisme bariolé de l’Orient et les colosses de béton dresses vers le ciel américain. Ce fut toutefois la simplicité des formes japonaises qui le séduisit complétement, il n’oublia jamais le Japon, et plus de quarante ans plus tard, il publia avec son fils, le céramiste Snorre Stephensen, un livre intitulé » Japansk Brugskunst « (Art applique japonais (Snorre Stephensen) venait lui-même de passer un an au Japon). A l’examen des illustrations, on ressent combien l‘art quotidien du Japon avait exercé son influence sur le langage esthétique du père comme du fils, aucune imitation, mais une parenté spirituelle. Après son retour, Magnus STEPHENSEN entreprit de travailler avec un autre de ses camarades d‘école, Knud Thorball; pendant plus de quarante-ans ils restèrent associés dans leur cabinet d'études, attelés parfois aux mêmes projets, mais le plus souvent dessinant chacun a des ouvrages différents. Magnus STEPHENSEN y trouva une activité très diversifiée. Tout d‘abord quelques villas d'une forme naissante de fonctionnalisme, la marque, du Bauhaus Dessau, l’école qui n’avait laissé personne indiffèrent, mais qui ne conservait une influence dominante que chez les plus pauvres d'esprit. Curieusement, on remarque déjà dans ces œuvres des années trente de faibles traces des impressions japonaises.
Avec les ans, ces formes caractéristiques devinrent l'attribut de Magnus STEPHENSEN bien qu‘ils ne sont jamais retourné au Japon, ce qui lui permit en un sens de conserver intacts les rapports avec ce pays qui lui avait apporté de si riches émotions dans sa jeunesse. La construction de villas, occupation principale des premières années, céda la place à d’importants projets d'habitat; un quartier entier a Husum avec blocs d‘appartements, maison accolées et une école, attira l'attention, beaucoup du reste à cause des maisons. La commune de Copenhague, maitre de l’ouvrage, avait souhaité que ces maisons fussent adaptées à des familles nombreuses disposant de petits revenus, leur taille était donc modeste, mais Magnus STEPHENSEN s’attacha à ce que chaque maison fut toutefois nettement marquée afin que les habitants aient bien l'impression d'une propriété individuelle. Ces maisons de Korsagervej furent reproduites dans de nombreuses revues, Magnus STEPHENSEN ayant ainsi une occasion de mettre en relief son profil esthétique, et dans la seconde moitié des années quarante, les habitations de Husum étaient citées chaque fois qu’il était question d’architecture danoise moderne. Peu de temps après suivit un autre exemple caractéristique : Le complexe résidentiel dit « Provstegarden», dans Tagensvej. Le propos de |’architecte était de faire obstacle à l’uniformisation croissante des vastes unités d'habitation. Il avait vu juste, mais on ne lui donna pas raison. Le « Provstegarden » fut certes admiré, mais il ne fut pas possible d‘échapper à l'influence prépondérante de la préfabrication, ce qui battit en brèche l'individualisme. Il s‘avéra nécessaire de faire du motif répétitif, c’est à dire de l'ennui, un objectif esthétique, sans quoi le système d‘éléments ne pouvait être utilisé, et les grandes entreprises de bâtiment avaient appris aux pouvoirs publics pue la préfabrication était économique. Aucune démonstration convaincante n‘a jamais fournie, mais cette forme de production paralysé |'architecture. Les entrepreneurs de bâtiments ont rarement été des prophètes de l‘humanité. Mais restons-en-la.
Revenons à Magnus STEPHENSEN qui a cette époque était pleinement occupé quoiqu'i| n‘ait jamais possède le don d‘accumuler les contrats, on peut même dire qu’il nourrissait une sante horreur des architectes accourant le crayon en main, prêts à faire n'importe quoi pour n’importe qui n‘importe où. Des avant son tour du monde, Magnus STEPHENSEN s‘était intéressé au dessin des meubles, c'était au moment où il était attaché au cabinet Edvard Thomsen- Frits Schlegel, ce qui lui donna l’occasion d’entrer en contact avec la première usine danoise d'ameublement, Fritz Hansens Eft., a Hillerod. Sa collaboration avec Christian Hansen se déroula dans un climat particulièrement amical, ce dernier était un home agréable, épris certes d’industrialisation, mais pas au point d'oublier jamais son passé d'artisan et sa responsabilité personnelle quanta la qualité des produits. Sa collaboration avec Fritz Hansens Eft eut pour résultat une série de sièges utilisant la technique du bois cintré. La grande réussite a été le siège Dan, un modèle d‘une extrême simplicité, durant plusieurs années le siège le plus vendu sur le marché national. Vint ensuite un fauteuil a coussins amovibles qui s‘est avéré si peu compliqué qu'il en est devenu impérissable. Les expositions annuelles des maitres ébénistes de Copenhague jouissaient à cette époque d’une bonne diffusion. Magnus STEPHENSEN fut invité à organiser une exposition dans les locaux particulièrement embarrassants de l’institut technologique, utilises durant la période précédant l’accès au musée des arts décoratifs, dans Bredgade. L‘exposition fut un succès, mais Magnus STEPHENSEN partit en voyage, la tâche passa en d‘autres mains, et l‘usage du bois cintré déclina, cette technique étant trop couteuse par rapport à la méthode du collage. Depuis, ce n'est que rarement qu’il a été donné de retrouver Magnus STEPHENSEN dans la création de meubles; d'autres secteurs de l'artisanat d‘art accaparèrent son activité bien que, là aussi, ses premiers modèles de meubles en aient été la cause apparente. Ils lui attirèrent une demande de Kay Bojesen, artiste aux mille facettes, orfèvre et spécialiste du bois, qui lui proposa une coopération, laquelle se développa par la suite en une profonde amitié. Magnus STEPHENSEN se mit à dessiner de |‘argenterie, notamment des vaisselles. C’est de cette période que datent la petite théière et la boite à thé achetées par de nombreux musées. Avec Magnus STEPHENSEN comme architecte, Bojesen organisa une grande exposition particulière au Musée des arts décoratifs: celle-ci les fit pleinement accéder à une large popularité, le public étant maintenant conscient qu’ils appartenaient à ce petit cercle de créateurs déterminant l'évolution de l‘art appliqué danois, évolution tourmentée depuis longtemps.
Vers le milieu du siècle précèdent, les copies de style tombèrent en désuétude, et l'on se lança de plus en plus désespérément dans des recherches individuelles que seuls les plus talentueux étaient en mesure de mener à bonne fin. A la fin du 19eme siècle, les influences du style « Jugend » imposèrent, ne traduisant en réalité que la confirmation d'une débâcle générale. Lors de la première guerre mondiale, une campagne tenta de renouveler le classicisme a la C. F. Hansen, rapidement supplanté par le fonctionnalisme pratique à la manière d’un fanatisme religieux. Traversant ces pulsions précipitées, on distingue toutefois en filigrane une ligne paisible qui évolue indépendamment des modes successive. Succédant aux perceptions de Brage ainsi qu’aux natures abstraites de C. F. Willumsen et Thorvald Bindesboll, apparurent quelques rares artistes aux conceptions originales. Ainsi le peintre Johan Rohde, qui eut une grande influence sur l’art appliqué danois, et en second lieu, Kaare Klint et Knud V. Engelhardt. Très éloignés les uns des autres, ils exprimèrent cependant une prise de position commune. Kay Bojesen et Magnus STEPHENSEN poursuivirent une évolution spirituelle identique. On était parvenu à un point où l’art applique se scindait en deux, soit en gros la ligne des « précieux », qui affectaient le modernisme, et celle des « modernes », qui se donnaient le mal de ne pas paraitre précieux. Il est à vrai dire nécessaire de noter ici un petit intermezzo de la fin des années trente; les architectes danois, parmi lesquels Magnus STEPHENSEN ne se tenait pas en retrait, cultivaient une étroite coopération avec l'usine de tapis Ernst Dahl dont le magasin de vente au détail de Knabrostraede était alors géré par l’habile Mlle Dahl, grande amatrice d’art, qui avait persuadé un certain nombre de jeunes architectes de dessiner de nouveaux motifs de tapis, fabrication qui s‘étiola sous l'occupation allemande, mais qui avait connu immédiatement avant une courte floraison grâce au motif « terrain forestier d’Arne Jacobsen, extrêmement populaire.» Le quotidien Politiken publia dans son numéro du 1er Janvier 1956 une enquête sur la société et la santé, menée auprès de vingt-neuf personnes de renom. Parmi les réponses, on trouvait celle de Magnus STEPHENSEN : « L‘homme moderne doit être rebâti de neuf » Le lauréat du Grand Prix de la Triennale de Milan, Magnus STEPHENSEN, indique à propos du spécialiste et du touriste: « Les vues étroites du spécialiste et la curiosité dévorante du touriste constituent les deux extrêmes de l'homme moderne. Je souhaiterais que nous parvenions à un équilibre, le spécialiste sortant de son domaine quotidien, et nous autres prenant plus de joie à contempler ce que nous est proche et journalier.
L'antiquité classique considérait ce contact avec l'existence comme une chose allant de soi, mais la distinction établie par l’Eglise entre l‘éternité et l’instant, entre le spirituel et le profane, le distingue philosophique entre l’éthique et l'esthétique, les nombreux mouvements et courants artistiques, ont dispersé l'homme moderne en une multitude de fragments qui demandent à être rassemblés.» En 1961, un journal de dimanche posait a une série d’artistes la question “Que signifie le succès?» Henry Miller avait répondu avec arrogance « Je désire être lu par un nombre de personnes de plus en plus réduit». Magnus STEPHENSEN écrivait: « Mon premier mouvement est de répondre "rien". La création est un processus qui exige un tel contact entre les objets et celui qui les conçoit qu'il n’y a pas de place pour une influence extérieure. Un travail réussi est entièrement une question de rapport personnel entre l'artiste et l’ « objet». Nous vivons une époque heureuse ou l’artistique et le rationnel se fondent dans un ensemble naturel; et nous croyons que nous sommes totalement libérés de la notion de style. (Je ne saurais m'étendre ici sur l‘exactitude de ce point de vue). Les rapports personnels de l'artiste a son œuvre n‘en deviennent que plus naturels, et un évènement extérieur comme le succès est étranger a ce contexte. Ma propre vie qui m'a donné l’occasion de travailler l’argent et l'acier chez Kay Bojesen et Georg Jensen, la porcelaine à la Manufacture royale, et de réaliser des bâtiments pour différents promoteurs, ma propre vie m’oblige naturellement à avouer que j’ai trouvé un encouragement à être reconnu par les musées et les expositions, et surtout de la part de confrères une fois le résultat acquis. Ce serait de |'affectation que de prétendre le contraire. Parmi les impulsions extérieures qui ne sont pas citées dans la question posée, ii faudrait sans doute citer la bonne humeur qu’engendre une distinction officielle. Croyez-moi, j’ai toujours bu les louanges comme du petit lait — et le lait est sain et il est bon — mais si d’avenir je venais à en manquer, je crois bien que je saurais m’en passer.» A propos de la forme et de la décoration, Magnus STEPHENSEN, répondant à une interview, faisait part d’un point de vue typique de ses conceptions: « Les générations précédents ont mis principalement l'accent sur la mission décorative de l’artisanat d’art, et bien souvent, on s'est enlisé dans les ornementations. En réaction, nous avons vu naitre le fonctionnalisme. Dans bien des cas, cette réaction a été si violente qu’elle a exagéré I ‘équilibre logique dans le dimensionnement des objets de manière à souligner les fonctions, ce en quoi elle a commis la même faute que les périodes antérieures et sombre dans une ornementation vide de contenu.»
Hakon Stephensen
Source: Mobilia #243-244 October & November 1975