Erreur de description chez Morand & Morand pour une lampe de Richard SAPPER

Commissaire priseur et son expert

L’union fait la farce

 

 

Beaucoup de nos clients, désireux garder l’anonymat, nous demandent d’acheter pour eux ou bien prendre des enchères à leur place, ce que nous faisons avec le plus grand plaisir.

Nous n’avons jusqu’à présent jamais eu à nous plaindre des maisons de ventes qui nous accueillent généralement avec beaucoup de diligence et de sympathie.

Voici que ce cet été, nous sommes tombés sur le mouton noir: une petite maison de vente parisienne avec laquelle il a été impossible de se positionner en tant qu’acheteur.

Ca a été erreurs techniques, avec impossibilité de prendre l’enchère ni en ligne ni par téléphone et l’impossibilité également de connaitre le lieu de la vente car le celui-ci était tenu secret.

On a cru au départ que c’était une espèce de reality show du type, jeu de piste, chasse au trésor. Mais non, impossible de connaitre le lieu de la vente, ordre du patron…

Franchement, nous ignorions qu’il y avait en France des ventes aux enchères publiques organisées dans des lieux tenus secrets, mais bon rien ne nous étonne désormais. (pièce à conviction #1).

Quoiqu’il en soit, ce n’est pas très grave, notre client n’a donc pas pu acheter le lot, il s’en est remis, et nous ne saurons jamais si cette étude a fait preuve d’inaptitude, mais comme vous le savez, nous ne sommes pas ici pour juger…

 

 

pièce à conviction #1

Néanmoins, alors que nous avions complètement oublié cet incident, nous sommes tombés par le plus grand des hasards sur une lampe vendue en vente publique, qui a attiré toute notre attention vu l’état de mutilation dans laquelle elle se trouvait. Et quelle a été notre surprise de constater que la maison de ventes qui l’avait vendue est justement celle qui fait des ventes intimes…C'est surprenant ! Quelle coincidence ! (pièce à conviction #2).

 

pièce à conviction #2

 

 

Nous nous sommes dit que cette lampe n’allait pas très bien et nous nous sommes sentis obligés de lui porter assistance…

Il s’agissait de la très populaire et iconic lampe Tizio éditée par Artemide.

Cette fabuleuse lampe qui s’apprête à fêter ses 50 ans, est probablement l'une des plus grandes innovations techniques et pratiques dans le monde du luminaire Design du 20e siècle.

Elle a été dessinée par Richard Sapper en 1970 et mise sur le marché en 1971. Elle a été éditée par la société italienne Artemide qui la distribue encore de nos jours avec beaucoup de succès et de fierté, et ils ont bien raison de l’être..

Cette lampe est née d’un besoin de son créateur Richard Sapper d’avoir une lampe orientable en tous sens, assez légère, pratique et surtout avec une petite tête et des long bras…disait-il !

La mode de l’époque était à des lampes qui s’accrochaient au plateau du bureau ce qui déplaisait terriblement à Richard Sapper qui ne trouvait pas ça pratique.

Une lampe traditionnelle n’avait pas sa place sur le bureau de Richard Sapper vu le souk qu’il y laissait à longueur de journée…

Il décida sur les recommendations d’Ernesto Gismondi alors propriétaire d’Artemide, de créer une lampe innovante, basse tension, légère, qui ne prend pas de place sur un bureau encombré qui était le sien, et surtout, une petite tête qui peut éclairer uniquement ce qu’il dessine ou ce qu’il lit, et des longs bras qui puissent orienter cet éclairage dans toutes les directions;

La Tizio est née ! Une révolution dans le monde du Design et surtout une révolution technologique pour l’époque, pas de cable entre l’ampoule et l’interrupteur…

S’il est en effet difficile de trouver des petites têtes avec des longs bras, il est cependant assez facile de trouver des petites têtes avec des petits bras, et la pêche a été fructueuse:

En effet, le 24 Mai 2020 l’étude Morand & Morand a mis aux enchères cette lampe Tizio de Richard Sapper en l’affublant de la protection juridique “D’après”, dont témoigne la terminologie des cartels d'expositions : "attribué à" "atelier de", "entourage de", "école de”, Rocky de…..comme on le fait souvent pour des oeuvres graphiques dont on est pas certain de leur paternité.

En fait, on essaie de contourner le décret Marcus qui précise dans son article 7:

Les expressions "dans le goût de", "style", "manière de", "genre de", "d'après", "façon de", ne confèrent aucune garantie particulière d'identité d'artiste, de date de l'oeuvre, ou d'école.”

Concernant cette lampe en vente chez les Morand, on connait la paternité, c’est Richard Sapper, on connait le modele, c’est Tizio, on connait la date de l’oeuvre, en tout cas à Docantic, mais il semblerait que ça ne soit pas le cas de l'etude car elle n’est pas mentionnée : celle qui est proposée dans cette vente est postérieure à 1985…

Sauf qu’elle est incomplète, il manque le contrepoids qui est toute l’ingéniosité de cette lampe (pièce à conviction #3).

 

pièce à conviction #3

 

La description de cette lampe par le commissaire-priseur et son expert, parce qu’il a fallu qu’ils s’y mettent à deux, précise: “Etat d’usage”…

 

“Etat d’usage” ! Mais de qui se moque t-on? Quel usage peut-on faire de cette lampe dans cet état ???

 

A moins de ne pas le savoir, ce qui serait assez surprenant de la part d’un expert qui compare ses connaissances à la masse volumétrique d’un iceberg, mais cette lampe est née pour être orientable en tous sens.

A moins de faire du spiritisme, on voit mal comment la lampe pourrait être orientée dans d’autres positions que celle dans laquelle celle-ci a été photographiée.

 

Décrire donc ‘D’après Richard Sapper” veut implicitement dire que cette lampe est empruntée à un design de l’artiste, ce qui est inexact et de pure mauvaise foi.

Mais bon, ne soyons pas plus royaliste que le roi et comme nous avons l’habitude de nous entourer des meilleurs, nous nous sommes donc dirigés vers les personnes les plus à même de fournir des preuves indiscutables.

 

Nous avons donc contacté la société Artemide, éditeur de cette lampe depuis sa création, ainsi que Carola Sapper, la fille de Richard Sapper.

 

Nous avons l’habitude de dire que nous avons d’excellents rapports avec les vrais sachants, les familles d’artistes, les vrais experts, etc… mais là, il n’y a pas de mots. Nous avons eu chez Artemide, en Italie, et chez Carola, un accueil immensément sympathique et extrêmement professionnel. Ca a été un vrai plaisir d’échanger avec cette fabuleuse société et particulièrement avec M.Watler Baiardo, qui nous a juste, inondé d’informations, de dessins préparatoires, à tel point qu’une des photos qu’il nous a envoyée laissait entrevoir le message de Docantic encore ouvert sur son écran d’ordinateur. C’est pour dire à quel point il a tout fait pour nous être utile. (pièce à conviction #4).

 

 

 

 

 

pièce à conviction #4

 

Nous ne pourrons malheureusement pas lister ici toutes les informations et photos pouvant aider à dater les lampes originales des récentes, voire même des reproductions, mais il faut néanmoins savoir que les Tizio des années 70 sont extrêmement rares et peuvent être négociées quelques milliers d’euros quant elles sont d’époque. La quasi totalité de celles qui passent en ventes sont récentes…

Voici néanmoins la preuve par le dessin que la lampe vendue à Paris était incomplete. Il manque donc le contre-poids (11), (pièce à conviction #5)

 

 

 

 

pièce à conviction #5

 

Voici enfin à quoi aurait du ressembler la Tizio de nos compères une fois complète, et pour les puristes, et les puristes seulement... la version originale de Richard Sapper telle qu'elle a été présentée à Ernesto Gismondi en 1970 (pièce à conviction #6).

 

pièce à conviction #6

 

            Il est indéniable que cet article traite d’un objet de basse valeur, mais nous défendons en priorité la dignité de l’artiste, car associer le nom de Richard Sapper à cette lampe sans annoncer cette mutilation est une insulte au créateur, à son éditeur et au monde du Design en général.

Pour finir et eu égard au recueil déontologique auquel tout commissaire priseur doit scrupuleusement se référer, il est obligatoire de préciser l’état et les manques dans la description des lots mis aux enchères dans les ventes dites non courantes.

Cette vente étant intitulée: intérieurs Parisiens et dirigée en association avec un “expert”, elle ne peut évidemment pas être considérée comme courante. L’article 1-5-5 relatif aux descriptions des objets et catalogue, le précise clairement.

Comme indiqué, cette lampe est probablement l'une des plus grandes innovations techniques et pratiques dans le monde du luminaire Design et il est inadmissible que certains se croient permis de traiter avec mépris le travail de vrais créateurs talentueux et de vrais ingénieurs.

Nous remercions infiniment la société Artemide et en particulier M.Watler Baiardo qui n’a pas hésité à fouiller les archives d’époque de la société dans ce qu’il appelle le Sancta Sanctorum Library afin de nous fournir les renseignements et documents concernant cette fabuleuse lampe Tizio.

Nous remercions également et très chaleureusement Carola Sapper, fille de Richard Sapper pour sa très sympathique collaboration.

 

Affaire classée.

 

Crimes et délits fréquemment commis (plus d’infos ici) :

 

Défaut de papiers ! L’expert n’a pas fourni de preuves documentaires d'époque recevables. Verbalisé !

 

Acte de sorcellerie ! L’expert a fait une erreur significative de datation. Une affaire paranormale pour Mulder & Scully ! Gardé à vue !

 

Disparition de témoin ! Aucun artiste n’a été identifié par l’expert. Alerte enlèvement, comparution immédiate !

 

Usurpation d’identité ! L’œuvre a été incorrectement attribuée à un tiers. Et Picasso a peint la Joconde, hein ?! Ecroué !

 

 

La Fiche d’Information de la DOCANTIC PATROL

 

La mission de la DOCANTIC PATROL, par l’intermédiaire de nos enquêteurs méticuleux et dopés aux expressos ultra serrés, est d’enquêter sur les affaires qui polluent le marché du meuble XXème. Manque de documentation, non-identification, erreur de date ou d’identification, nous identifions les suspects et permettons que le rétablissement de la vérité fasse jurisprudence.

Chez DOCANTIC nous pensons que chaque artiste mérite d’être correctement identifié pour chacune de ses réalisations, et qu’un collectionneur devrait payer le juste prix pour son achat. Le marché de l’art est pollué par ces erreurs d’attribution et d’estimations malhonnêtes. En diffusant les photos originales d’œuvres du XXème siècle, DOCANTIC PATROL identifie et appréhende ces sur ou sous-estimations. C’est notre mission. Nous servons et protégeons les meubles du XXème siècle.

Basé à Los Angeles, DOCANTIC partage avec tout amateur d’art les informations gardées secrètes par une poignée d’individus depuis bien trop longtemps !